Un air de déjà-vu. Ce vendredi 31 décembre 2021, à minuit tapant, la puissante clameur mêlée aux intenses détonations des pétards qui déchire l’air à Koumassi Bia Sud, indique qu’on vient d’entrer dans la nouvelle année. Dans la rue, avec fortes embrassades et accolades, on se souhaite les vœux de nouvel an au mépris des gestes barrières édictés dans le cadre de la lutte contre la Covid-19. Ce détail est loin d’être anecdotique. D’autant plus que depuis quelques jours, les cas de contaminations augmentent au point d’amener le ministère de la Santé à exiger, désormais, le test antigénique à l’entrée de tous les grands rassemblements. Qu’à cela ne tienne. Les Abidjanais n’ont pas boudé leur plaisir d’accueillir la nouvelle année. Notre ronde dans le district d’Abidjan pour voir comment les populations ont célébré le réveillon de la Saint-Sylvestre débute quelques heures plus tôt au quartier Zoé Bruno, communément appelé Soweto, dans la commune de Koumassi. Les maquis situés en bordure de lagune se préparent pour la « finale ». Estelle Kadjo, tenancière de maquis, est en plein dans ses calculs. « J’ai passé plus de commandes que d’habitude », confie la jeune dame. Et d’ajouter : « L’année passée à cette heure (20h30), il y avait plus d’affluence qu’aujourd’hui. Mais la Noël de cette année a suscité plus d’engouement que celle de l’année dernière ». En attendant la grande affluence qu’elle prévoit aux environs de minuit, Estelle Kadjo attire la clientèle à coups de décibels. Dans ce maquis, on se croirait à un 11 mai, date de la commémoration du décès de Bob Marley. La sélection musicale est issue du riche répertoire de la reggae star jamaïcaine. « Natural mystic », « Jamming », « No woman no cry » … se succèdent sur la platine pour le grand bonheur des reggaephiles. Un client, satisfait, dodeline de la tête et enchaine les clopes. Heureux comme un toxicomane dans un champ de cannabis. C’est sur ce tableau que nous nous rendons à l’église des Assemblées de Dieu de Koumassi Bia Sud. A contrario des maquis visités, l’église a fait le plein de fidèles. Les différentes personnes interrogées ont tenu à confier la nouvelle année qui vient à Dieu et à le remercier pour toutes ses actions au cours de l’année écoulée. A l’approche de minuit, on sent une certaine fébrilité. Des gamins, impatients, défilent devant l’horloge de l’église pour voir l’heure. Puis la forte clameur extérieure, nous indique enfin que nous sommes en 2022. Le thème de la nouvelle année décliné par le pasteur a du mal à être entendu. Au grand carrefour de Koumassi, un monde fou est agglutiné à la place de l’Espérance pour regarder le feu d’artifice offert par le maire. « Ouais, Bacongo, tu es un chef ! », s’exclame un jeune subjugué par le spectacle. « C’était beau. Nous remercions le maire Cissé Bacongo qui fait un bon travail. D’ici, je vais m’enjailler avec mes amis. On ira manger dans un restaurant ensuite on va faire un tour en boite », décline, comme programme, Hamed Konaté. Pour ce spectacle pyrotechnique, certains, à l’image de Mariam Sidibé, et sa bande d’amis, sont venus d’Abobo et bien d’autres communes du district d’Abidjan. Une ambiance festive règne dans les rues de Marcory et de Treichville que nous sillonnons. Au Plateau, un impressionnant bouchon nous oblige à revoir notre trajet. L’embouteillage part de la gare Sud à la lisière de la commune d’Attécoubé par la Carena. Des automobilistes excédés ont carrément éteint leur moteur. Une guerre de pétards à Attécoubé Au carrefour de la voie express contiguë à la commune d’Attécoubé, nous tombons sur un impressionnant dispositif des forces de l’ordre. Les lieux jonchés de projectiles et quasiment déserts montrent qu’ils ont été un champ de bataille. Nous en saurons davantage, un peu plus loin, grâce à un couturier. Selon notre interlocuteur, une guerre de pétards en est la cause. La commune est devenue coutumière de ce phénomène qui traumatise plus d’un. Des jeunes s’adonnent à ce jeu dangereux en se pourchassant à coups de pétards et en les lançant sur les passants. Aux environs du cimetière, nous manquons d’être pris à partie par des adeptes de ce jeu dangereux. Nous rebroussons chemin pour nous rendre à Yopougon. Cette année, encore, la commune de Kafana Koné n’a pas dérogé à sa réputation de cité de la joie. Dans les environs de l’église Saint André, des jeunes ivres ou trop heureux, dansent sur la voie quand à quelques mètres, d’autres jeunes font le show autour de tables bien garnies en alcool. Il est près de deux heures du matin mais les rues sont bondées de monde avec des embouteillages par endroits. Maquis, restaurants, caves… sont pris d’assaut par une clientèle heureuse d’entrer dans la nouvelle année. On sent véritablement la fête dans les rues du quartier Maroc et bien d’autres avec ce ballet incessant de femmes endimanchées dans des tenues qui rivalisent de créativité. Ici, on comprend aisément l’expression « se mettre sur son trente-et-un ».A la recherche de quelques faits insolites, nous nous rendons à l’hôtel où, l’an dernier à la même période, nous avons vu une file de couples attendant d’accéder à l’hôtel. Cette année la pêche est infructueuse. Car aucun couple n’est visible. L’endroit est désormais mieux éclairé. C’est à croire que l’amour n’aime pas trop la lumière. 2h41. Nous sommes à Adjamé Liberté où un gbaka fait son chargement de passagers. Avec le nombre de personnes dans les rues à cette heure, la clientèle abonde. Sur la route d’Abobo, précisément au carrefour Mobile, nous voyons les « premiers dégâts collatéraux » de la fête à travers le passager d’un taxi qui déverse sur la chaussée le trop plein d’alcool qu’il a consommé. Nous marquons un arrêt dans un maquis pour nous restaurer. Il est 2h58. Interrogé sur sa recette au cours de cette nuit, Bancé, vendeur de poulets piqués, se plaint de la morosité des affaires et des difficultés pour s’approvisionner en poulets. « J’achète le poulet à 2750 francs. Ça ne m’arrange pas. En plus, ça n’a pas marché aujourd’hui », déclare-til, quelque peu amer. Ce n’est pas le cas pour le tenancier du maquis qui, lui, est en pleine rupture de stock. Preuve que les populations ont « bien fêté ». Et la forte circulation sur le boulevard Latrille à 3 heures du matin montre que les Abidjanais sont sortis au cours de ce réveillon de la Saint Sylvestre.
YVES KALOU