Après un premier rendez-vous manqué à la suite du tirage au sort de la phase finale de la Coupe d’Afrique des Nations 2021, la seconde tentative a été la bonne. Au soir de la victoire contre le Malawi (2-1) le 11 octobre 2021, la seconde en 72 heures, en qualification de la Coupe du monde 2022, le sélectionneur de la Côte d’Ivoire a accepté de nous accorder cet échange. Sur la pelouse du stade Général Mathieu Kérékou de Cotonou, au Bénin, Patrice Beaumelle a répondu à nos questions sans détours. Sa mission à la tête de la sélection ivoirienne, ses ambitions pour la Côte d’Ivoire, les objectifs visés, sa relation avec ses joueurs. Il a tout dit et se projette déjà dans les deux prochains matchs de son équipe face au Mozambique et au Cameroun comptant pour les 5e et 6e journées des éliminatoires dans le groupe D que son équipe domine avec 10 points, devant le Cameroun (9 points).
Le Patriote : Carton plein avec six points pris. L’objectif est atteint pour cette trêve internationale. Patrice Beaumelle : Exactement ! C’était une date FIFA très courte, juste une semaine, avec beaucoup de voyages, de changements, d’acclimatation. L’objectif, c’était six points. C’est chose faite. Je suis tes satisfait. Mathématiquement, comptablement, on reste premiers de cette poule (la Côte d’Ivoire est leader du groupe D avec 10 points devant le Cameroun) et on avance.
LP: Vous avez eu 29 joueurs pour ce regroupement. Quelles ont été vos satisfactions et déceptions ?
PB: Sur les deux matchs, il y a des moments où j’ai beaucoup de satisfaction, où je me sens solide défensivement, un milieu costaud et offensivement irrésistible. Et par séquences, je suis un peu fébrile comme les joueurs en disant qu’on n’arrive pas à se trouver devant, au milieu on n’arrive pas à récupérer les ballons comme il se devait, et derrière on semble un peu fébriles aussi. Mais je dirai que c’est la qualité de l’adversaire. Je sais que nous sommes la Côte d’Ivoire mais j’ai beaucoup de respect pour le Malawi. J’ai joué des dizaines de fois contre eux, et à chaque fois, ça été des matchs difficiles avec les différentes équipes que j’ai pu entraîner. L’objectif était six points, c’est chose faite. L’objectif, était aussi de voir pas mal de joueurs en situation de jeu. C’est chose faite. Il nous a manqué Sébastien Haller, et quelques joueurs. Mais globalement, tout le monde a fait des efforts. Je félicite les garçons, tout le groupe, le staff, pour le travail bien fait. Parce que ça été une semaine très difficile.
LP : Il y a en janvier prochain la CAN 2021. La Côte d’Ivoire partage son groupe avec l’Algérie, la Sierra Leone et la Guinée. Quand on hérite d’un adversaire qui vous sort en quart de finale de la CAN précédente, on se dit qu’on a une belle opportunité de revanche ?
PB : Je vais être honnête avec vous, la CAN est trop loin. Bien sûr, je suis allé au tirage, j’ai représenté le drapeau ivoirien, mais l’objectif entre septembre et novembre, c’est la Coupe du monde. Ce sont deux compétitions complètement différentes. Bien sûr, on va se servir de ces matchs pour progresser, pour avoir quelques convictions, travailler nos points faibles, améliorer nos points forts. Mais l’objectif actuellement, ce n’est pas la CAN. On aura le temps de nous préparer surtout que nous jouons l’Algérie en troisième match. Avant, il y a la Guinée Equatoriale et la Sierra Leone. J’essaie de suivre à distance tous leurs matchs dans leurs éliminatoires. Mais la CAN est loin. Finissons ces éliminatoires de la Coupe du monde. Il nous reste deux matchs, on est premiers de notre poule. Tous les voyants sont au vert. Bien sûr, il y a des choses à travailler. On aurait pu gagner 3-0 encore, avec un jeu séduisant que je ne serais pas content. Le match du Cameroun, j’étais satisfait du contenu mais j’avais plein de choses encore à travailler. C’est le dur labeur d’un coach, il faut se remettre en question et essayer de faire passer le message à ses joueurs.
LP: Justement quand on regarde dans le rétroviseur, c’est le Cameroun qui pointe à un point d’écart dans ces éliminatoires de la Coupe du monde. Ça n’effraie pas de se savoir pris en chasse par des Lions Indomptables ?
PB : Quand on est dans notre position, ce n’est pas dans le rétroviseur qu’on regarde mais plutôt la route qui doit nous amener à destination. Aujourd’hui (le 11 octobre, Ndlr), quand on a été longtemps accrochés un but partout, ils se sont dit qu’ils pouvaient passer devant. Maintenant, ils sont toujours derrière. Ce sera comme ça jusqu’au bout. Le premier à laisser des plumes avant la dernière confrontation sera puni à la fin. Donc, à nous de rester devant. Et c’est toujours mieux de rester devant que derrière. C’est une position qui nous convient. C’est à nous de dicter les choses. On gagne tous nos matchs et on n’a rien à regretter. La qualification pour le dernier tour des éliminatoires se joue sur deux matchs et nous n’avons pas le droit de tout gâcher. Parce que notre destin nous appartient.
LP: Depuis votre prise de fonction, vous avez mis à l’épreuve près de 200 joueurs. Aujourd’hui, Beaumelle a-t-il une idée claire de son ossature ? PB : Je vais être honnête avec vous. C’est l’histoire de ce Covid-19 qui se passe partout dans le monde. Je vois le Malawi qui fait un changement au bout de 12 minutes. Avec cette histoire, on ne sait plus trop comment procéder. Par chance, on peut avoir un effectif beaucoup plus élaboré. Pour ma part, j’avais 29 joueurs. Malheureusement, je n’ai pas pu faire plaisir à tout le monde. C’est même difficile pour la CAN parce qu’on ne sait pas si on aura 23, 25 ou même 30 joueurs (la CAF a autorisé les équipes qualifiées à sélectionner 28 joueurs, Ndlr). Ce matin encore, j’avais deux joueurs qui n’avaient pas leur résultat Covid-19. On pensait qu’ils étaient positifs. Même des membres du staff. Donc, on vit au jour le jour. C’est très difficile de travailler avec sérénité avec cette pandémie. Je ne suis pas le seul, je ne me plains pas, mais c’est très difficile. On voit le Bénin qui n’a pu se qualifier pour la CAN avec des cas de Covid-19. C’est trop compliqué pour avoir des certitudes. Je ne peux même pas vous dire si j’aurai tous mes joueurs pour les prochains matchs, le mois prochain. Parce que, un, ils sont sollicités sportivement, et deux, on ne sait jamais sur quoi on peut tomber avec ce Covid-19. Quand je dis que je suis 200 joueurs, mais je commence à avoir un effectif de 30-35 joueurs. On essaie de faire tourner. On voit qu’on doit encore se créer plus d’automatismes. Par moment, j’ai pris du plaisir parce qu’on jouait bien au ballon, on trouvait des espaces, on gardait, on récupérait. Et par moment, je nous sentais fébriles. Il faut qu’on corrige ça.
LP: On voit la patience dont vous faites preuve avec Konaté Karim et Christian Kouamé. Qu’est-ce qu’ils ont de si particulier qui vous amène à leur faire autant confiance ?
PB : Konaté Karim, c’est le plus jeune attaquant de l’histoire des Eléphants. A 17 ans et 6 mois, il a déjà 2 sélections. C’est beaucoup d’espoir fondé en lui. Je pense qu’il a encore le temps de travailler. Ce maillot orange est très difficile à porter. Christian me plaît beaucoup dans ses efforts, dans sa capacité à bouger, à garder le ballon. Il est à la recherche de son premier but. Je pense qu’après son opération au genou, il a besoin d’enchaîner les matchs de haut niveau pour prendre confiance et enchaîner des buts. Mais ce sont de jeunes joueurs d’avenir comme d’autres. Comme Sinaly Diomandé et Odilon Kossonou qui ont 20 ans, Amad Diallo, Hamed Traoré qui était là et que je n’ai pas pu faire jouer. Il y a bien d’autres comme ça. Je peux citer aussi Ibrahim Sangaré. Une sélection nationale aussi, c’est un travail d’ensemble, un bon mix de joueurs d’expérience, de joueurs cadres, et de jeunes joueurs. Avec tout ce monde, il faut arriver à créer un bel équilibre pour pouvoir être un peu plus serein.
LP: Le genre d’équilibre que celui qu’a apporté Gervinho aujourd’hui ?
PB : Gervais est au service de l’équipe. Au premier match, il était remplaçant. Il est rentré avec beaucoup de fraîcheur et de spontanéité comme Max Gradel, remplaçant aujourd’hui, qui avait démarré la dernière fois et marqué. Il est rentré avec beaucoup de disponibilité et de capacité de garder, de venir défendre. Je suis satisfait de mes changements. Habib est rentré dans un match où c’était trop tendu. Lorsque qu’on rentre dans un match comme celui-là avec un remplacement à la mi-temps et derrière on réalise une performance comme ce qu’il a réussi, on ne peut qu’être fier. Serge manquait un peu de fraîcheur et le remplacement était prévu. Parce qu’il n’a pas joué depuis un mois. Je suis content qu’il puisse enchaîner cette première mi-temps. Il doit reprendre du rythme dans son club. Il a signé à Villarreal. Dans une sélection et un groupe comme celui de la Côte d’Ivoire, c’est beaucoup de choses à la fois qu’il faut gérer pour retrouver le meilleur équilibre. Regardez Willy Boly et Eric Bailly. Ils ne jouent pas dans leur club. JeanEvrard Kouassi dont le championnat est fini en Chine. Mais leurs prestations en équipe nationale sont exceptionnelles. On a beaucoup de joueurs qui manquent de temps de jeu, mais il faut trouver la meilleure formule pour leur permettre de donner le meilleur d’euxmêmes. Le retour de Gervais nous apporte plus de solution. C’est comme Jérémie Boga, Nicolas Pépé, Jean-Michaël Seri et tous ceux qui viennent enfiler le maillot orange. C’est avec cet ensemble qu’on doit arriver à trouver l’équilibre.
LP : On qualifierait Patrice Beaumelle de papa poule. Serge qui manque de fraîcheur et qui est en sélection. On a Willy et Eric qui y sont bien qu’ils ne jouent pas en club. Evrard appelé alors que le championnat chinois est à l’arrêt depuis des lustres. Christian à qui vous tenez à redonner confiance après sa blessure au genou,… N’est-ce pas une manière de les couver, de les protéger ? PB : Non, je ne les couve pas. Je suis juste réaliste quand il faut prendre des décisions. Ce n’est pas facile pour moi de sortir un capitaine à la mi-temps. Comme on l’a fait avec Serge. Ce n’était pas pour le punir. On en avait parlé ensemble. J’avais hésité à le faire démarrer sur le banc et le faire finir. Mais ce n’est pas évident quand on manque de rythme. Vu le statut de Serge, j’ai préféré qu’il démarre le match. Mais voilà ! Le haut niveau, c’est la concentration, enchaîner des efforts. Mais quand on ne joue pas en club, on devient un tout petit peu fébrile. Mais ça, on le savait et j’assume pleinement mes choix. Je suis un mix entre père et grand frère. J’essaie d’être juste. Je pense à l’équipe pas à l’individualité. En même temps, un sélectionneur protège ses joueurs, les rassure, les oriente, les aide à trouver de la confiance. C’est ce que nous faisons avec tout le monde. La meilleure façon de réussir dans un groupe, c’est la communication et cela se passe d’ailleurs très bien.
LP : Au soir de la 6e journée des qualifications de ce deuxième tour des éliminatoires, qu’est-ce que Beaumelle souhaiterait qu’on garde de lui ?
PB : Une qualification pour le troisième tour évidemment. On est premiers de notre poule. On joue le Mozambique et on termine cette phase éliminatoire au Cameroun. Tout ce que nous devons faire, c’est de maintenir notre avance au terme des deux prochains matchs en novembre. En tant qu’entraîneur, on a des défis et de objectifs à atteindre. La qualification à la CAN acquise, il nous reste la Coupe du monde 2022. Je le disais tantôt, notre destin nous appartient. Comme on l’a répété durant cette trêve internationale, il nous reste six points encore à prendre et nous irons les chercher. Parce que la Coupe du monde est un objectif prioritaire. Je veux simplement qu’on voit, pas en moi mais en toute l’équipe, un groupe qui a réussi la mission de renouer la Côte d’Ivoire avec la Coupe du monde. La Coupe du monde fait rêver et les joueurs en rêvent.
PAR OUATTARA GAOUSSOU A COTONOU