Quatre ans après « Ya fohi », Magic System est de retour depuis le lundi 21 juin 2021 sur le marché musical avec un nouvel album, le 13ème du genre, intitulé « Envolée zougloutique ». Dans cet entretien, Salif Traoré dit A’salfo, lead-vocal de ce quatuor magique du zouglou, décortique cette belle œuvre musicale qui respire le professionnalisme, la rigueur, le talent immense et l’inspiration ingénieuse de ce mythique groupe zouglou. Aussi explique-t-il les motivations de cet album qui vise un objectif précis.
Le Patriote : Pourquoi avezvous choisi d’intituler ce 13ème album « Envolée zougloutique» ? A’salfo : Nous avons promu le zouglou sur le plan international. Mais, à un moment donné, il y a eu des featurings avec des artistes internationaux. La dimension réelle du zouglou n’a pas été vraiment aperçue comme il le fallait. Nous avons donc décidé de faire un album zouglou 100% ivoirien et 100 % africain afin d’imposer ce zouglou aux mélomanes et surtout de ne pas donner le choix aux gens de choisir les sonorités qui leur conviennent ou pas, mais d’écouter tout simplement l’œuvre. Nous avons donc voulu donner cette envolée au zouglou. C’est la première fois aussi que Magic System se produit, une façon pour nous d’impulser cette envolée zougloutique. C’est donc un changement de cap momentané pour satisfaire nos fans et les mélomanes férus de zouglou.
LP : En quoi cet album est-il différent des premiers albums de Magic System qui ont été aussi faits dans la pure tradition zougloutique ?
A : La différence, c’est que cet album aborde les grands sujets de la société sous un autre angle. Par exemple, c’est inédit qu’on chante pour les planteurs. Avec notre fondation, nous avons appréhendé les problèmes qui minent la société ivoirienne, puisque nous menons des actions sur le terrain. A travers cet album, nous interpellons les populations sur certains sujets préoccupants notamment l’immigration irrégulière que le Femua (Festival des musiques urbaines d’Anoumabo) a évoquée ; l’employabilité des jeunes au sein des entreprises ; l’éducation des enfants qui doivent aller à l’école parce que depuis plus de trois ans l’école est devenue obligatoire en Côte d’Ivoire. Mais, certains parents sont encore réticents à envoyer leurs enfants à l’école. Nous les interpellons sur les dangers que courent nos petits-frères qui ne vont pas à l’école. On essaye aussi plus ou moins de parler de notre jeunesse qui s’est plus politisée et s’engage, au détriment de son avenir, sur des voies n’ayant peut-être pas d’issue. Il est temps que la jeunesse se concentre sur ses projets, au lieu de s’épuiser dans des débats politiques sur les réseaux sociaux comme si c’est nous qui allons construire l’avenir des politiciens. Nous avons interpellé pas mal de personnes sur cet album. Ce qui fait qu’il est un peu différent. Ce sont des interpellations cool comme Magic System le fait habituellement.
LP : Justement, Magic System nous avait habitués à traiter les questions de société avec dérision, beaucoup d’humour. Mais, là, vous optez ouvertement pour la sensibilisation directe en parlant plus à l’esprit qu’au corps. Est-ce une démarche qui va durer dans le temps ou c’est juste pour cet album ?
A : Il y a certes des sujets qu’on tourne en dérision. Mais, il y en a aussi qui sont si sérieux que la rigolade ne s’y adapte pas. C’est vrai que sur l’employabilité des jeunes, on a beaucoup rigolé en disant que souvent des jeunes réalisent que le papier dans lequel ils mangent de l’alloko est le CV qu’ils ont déposé il y a une semaine auprès d’une structure. Ça fait rigoler, mais c’est la vérité. Cela dit, nous ne pouvons pas rigoler quand il s’agit d’évoquer l’immigration irrégulière. C’est un danger, une question de vie ou de mort. Nous ne pouvons pas rigoler avec cela. Magic System a environ 25 ans de carrière. A ce stade, nous devons avoir une autre manière d’éveiller les consciences.
LP : Grosso modo que voulezvous que les jeunes retiennent de ces 12 titres d’ « Envolée zougloutique » ?
A : Les valeurs que nous leur inculquons à travers cette œuvre à savoir : l’espérance, la persévérance, la détermination, la foi. Nous avons dit tout à cette jeunesse qui s’éloigne de ses objectifs. Pour nous, il est impérieux que les jeunes s’approprient toutes les valeurs que véhicule cet album. Vu l’accueil enthousiaste réservé à cette œuvre par les jeunes, je garde espoir que ce sera chose faite.
LP : Sur cet album, on retrouve, de nouveau, un titre en hommage à Anoumabo. C’est une reconnaissance infinie à ce village qui vous a vu grandir…
A : C’est une reconnaissance infinie et continuelle (rire). On ne montre pas son village de la main gauche, dit-on. En fait, c’est une valorisation touristique d’Anoumabo que nous faisons. Nous avons rappelé ce que nous avons vécu à Anoumabo. Maintenant, nous parlons de la joie de vivre que l’on peut ressentir en arrivant à Anoumabo. Aujourd’hui, nous voulons que des gens qui viennent de l’Europe ou d’un autre continent aient envie de voir Anoumabo dont on parle tant. Notre ambition, c’est de faire en sorte qu’Anoumabo devienne un label, avec ses attraits touristiques et ses spécificités. Nous allons donc continuer de promouvoir Anoumabo. Pour nous, c’est le plus beau village du monde. Et sur ce sujet, il n’y a pas de débat parce que les goûts et les choix ne se discutent pas.
LP : « Envolée zougloutique », c’est aussi trois featurings avec trois artistes bien connus Smarty (« Voyager »), Fally Ipupa (« Molo-Molo ») et Dj Mix 1er ( « Jeunesse politisée »). Qu’est-ce qui a milité en faveur de leur choix parmi tant d’autres ? A : D’abord, il y a de l’amitié entre nous. Ensuite, ce sont des artistes qu’on connait bien. Nous avons de la chance car ce sont des petits frères qui nous ont côtoyés. Nous avons pris du plaisir à travailler avec eux car ils sont pétris de talent. Nous les avons aussi choisis parce qu’ils représentent trois styles musicaux différents : le rap (Smarty) , le coupé décalé ( Dj Mix 1er) et la rumba (Fally Ipupa). Ces trois musiques ont pour point commun leur proximité avec les populations ; ce sont également des musiques urbaines qui sont au cœur de la société et disent peut-être la même chose sur des rythmes différents. Après, la collaboration avec Fally Ipupa vise à rapprocher deux Afriques, même si elles ne sont pas divisées. Il s’agit de rapprocher la musique de l’Afrique centrale à celle de l’Afrique de l’ouest. Avec Smarty, c’est de l’intégration sous-régionale. Les liens historiques qui existent entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso demeurent. Nous avons voulu les renforcer musicalement et culturellement. En associant Smarty à cet album, ce n’est pas seulement le rap que nous avons invité, mais nous avons également œuvré au rapprochement de deux pays. Avec Dj Mix 1er, nous montrons que le coupé décalé reste dans la famille du zouglou, même si ces deux rythmes musicaux ont été longtemps opposés. Il fallait créer une alchimie entre les deux pour montrer qu’il y a une similitude entre nous, même si nous ne disons pas les mêmes choses dans nos chansons. LP : Combien de temps a duré la réalisation de cet album ? A : Douze mois pour les 12 titres. En studio, nous sommes allés molomolo. Nous avons profité de cette année obligatoirement sabbatique imposée par la pandémie de Covid19 pour enregistrer cet album. Il n’y avait pas de voyage entre les séances studio. Cela nous a permis de rester concentrés et de travailler d’arrache-pied pour sortir cette œuvre dont les colorations sont 100% zouglou. Un album zouglou, ce n’est pas à Paris ou à Londres qu’on l’enregistre. C’est à Abidjan. Et on a eu ce temps-là pour être à Abidjan.
LP : Les arrangements ont été assurés par quatre personnes à savoir votre arrangeur-maison Olivier Blé, Oguy Solo votre guitariste, Tychic La Magie et Thierry Vitodegni. Comment s’est passée l’association de ces quatre arrangeurs sur cet album ?
A : Nous avons voulu donner la chance à nos musiciens de s’exprimer autrement. Nous n’avons pas voulu qu’ils restent cloîtrés dans l’activité qui consiste à nous accompagner sur scène lors de nos concerts. Nous avons voulu leur permettre de toucher aussi des droits d’auteur et d’exprimer leur talent d’arrangeurs. Nous avons travaillé avec Oguy Solo sur deux titres qui sont, du reste, excellents : « Molo-Molo» avec Fally Ipupa et « Joyeux anniversaire». Tychic, nous l’avons connu par le biais de Mix 1er dont il est l’arrangeur. Nous avons constaté que le «petit » a du potentiel. Nous avons donc décidé de travailler avec lui et il a arrangé le titre « Jeunesse politisée ». Thierry Vitodegni a préparé le titre « Voyager » avec Smarty depuis le Burkina Faso, avant qu’on ne vienne le « zougloutiser » ici. Smarty est donc venu avec le poulet flambé et nous avons apporté l’attiéké. Et on a fait ce que ça a donné.
LP : La campagne de promotion de l’album vient de débuter. Quelles seront ses grandes articulations ?
A : Elle se déroulera en plusieurs étapes. Pour l’instant, nous répondons aux sollicitations des médias avec des interviews radio, télé, presse écrite et en ligne ; des passages à des émissions radio et télé. Ensuite, nous allons sillonner quelques points chauds de la ville d’Abidjan, avant de faire la grande dédicace à Anoumabo le 24 juillet prochain. Nous comptons également donner deux grands concerts dans quelques mois : l’un au Palais des congrès du Sofitel hôtel Ivoire, et l’autre au Palais de la culture. Après ces concerts, nous allons entamer la tournée africaine. C’est ainsi qu’est décliné le planning de promotion de cet album.
LP : Quel objectif de vente visez-vous ?
A : Nous ne nous sommes pas fixés un objectif de vente. A un certain stade de sa carrière, ce n’est pas le nombre de disques qu’on vend qui est important, mais plutôt le fait de pouvoir rendre heureux, de ne pas décevoir ceux qui croient en vous depuis le début. Nous sommes déjà ravis de voir les gens être satisfaits de l’album, vu le retour que nous avons. Nous avons lu les commentaires (sur les réseaux sociaux). Nous sommes heureux de constater qu’en plus de ceux aiment déjà le zouglou, de nombreux jeunes, qui n’ont pas connu le zouglou dans sa phase idéologique, aient adopté l’album. Le plus important, pour nous, c’est d’avoir cette base de fans qui est toujours satisfaite de notre travail. LP : Pour finir, un appel à lancer au public ? A : Nous avons fait un album d’une heure maximum. Moins c’est long, mieux on comprend. Cet album permet aux populations de renouer avec la musique de conscientisation. Il interpelle également les jeunes sur leurs propres problèmes que certains ignorent. Il les réconciliera enfin avec le zouglou originel.
RÉALISÉE PAR Y. SANGARÉ