Les points de vente (PDV) des dépôts et retraits mobile money ont entamé une grève de 72 heures la semaine passée. La grève a ensuite été reconduite jusqu’au 15 août 2022. Dans cet entretien, Yao Kouamé Sylvain, responsable de création et d’installation de points mobile money, donne les raisons de ce débrayage. Non sans lancer un appel aux populations et aux autorités.
Le Patriote : Vous venez de faire une grève qui a duré du 09 au 15 août 2022. Qu’est-ce qui a motivé ce mouvement d’humeur ?
Yao Kouamé Sylvain : Le problème a commencé avec l’avènement de Wave. Dans le passé, on était payé sur la base de 1000 francs avec les trois réseaux (Orange, Moov et Mtn, ndlr). Quand Wave est arrivé avec les 1% pour les clients finaux, les autres maisons de téléphonie mobile ont trouvé que c’était abusé. Mais après un mois, ils ont décidé d’appliquer également les 1% sur les clients finaux. Dans ce sens, on n’avait pas de problème parce qu’on était avec l’ancien commissionnement. C’est vrai que ça n’allait pas mais on arrivait à joindre les deux bouts avec cette grille tarifaire.
LP : Quel était l’ancien commissionnement ?
YKS : On était payé sur la base de 1000 francs. C’est-à-dire quand on fait une transaction de 10000 francs, la commission est 600 francs. Sur les 600, on a 400 francs et les 200 francs sont repartis entre le distributeur et la maison de téléphonie. Mais aujourd’hui, en plus d’avoir cassé les commissions au niveau d’Orange, le commissionnement par cumul est fait comme chez Wave. C’est-à-dire on additionne toutes les transactions dépôts et retraits. En fonction de cela, il y a une grille tarifaire qui est appliquée.
Je prends un exemple pratique. De 500 à 9999, on a 16 francs comme commission. Vous comprenez qu’avec ça, on ne peut pas faire face à nos charges. Si les sociétés de téléphonie ont pris la décision de suivre Wave en faisant les transferts à 1%, elles ne doivent pas se rabattre sur nos commissions, déjà insuffisantes par le passé, pour compenser leur manque à gagner. On suppose qu’elles ont les moyens de leur politique.
En plus de réduire les commissions, elles ont mis en place le système de cumul de transactions. Ainsi durant la période d’un mois, on n’a pas accès aux commissions. C’est à la fin du mois qu’Orange nous envoie des commissions. Or par le passé, on avait accès à ces commissions et ça nous arrangeait en ce sens que si à mi-parcours on a une commission de 50.000 francs, on peut l’injecter dans notre capital. Aucun réseau ne nous finance. On n’a pas d’accompagnement financier. On est livré à nous-mêmes sur le plan de la sécurité.
LP : Pourquoi indexez-vous uniquement Orange ?
YKS : C’est le premier réseau qui occupe la première place. Au niveau du commissionnement, c’est Orange qui est allé plus loin. Ses tarifs sont inférieurs aux deux autres réseaux. Orange est le premier sur le marché donc quand elle prend une décision, les autres s’alignent. Voilà pourquoi on indexe Orange. Par ailleurs, il y a une grande partie du chiffre d’affaire qui vient des abonnées Orange.
Dans nos contrats avec cette société de téléphonie, il n’est mentionné nulle part qu’elle a la possibilité, sans nous consulter, de réduire les commissions. Il y a donc un non-respect de contrat.
Si Wave a réussi à s’installer en Côte d’Ivoire, c’est parce que la société a rempli les conditions. Aujourd’hui au niveau des commissions, les trois autres réseaux ne font pas le poids devant Wave. Donc on ne peut pas dire que c’est Wave le problème.
Notre véritable problème, ce sont les trois réseaux mais on ne peut pas faire la grève contre ces trois réseaux seulement sinon demain Wave peut se lever pour faire n’importe quoi. C’est pourquoi on a inclus les quatre.
LP : Que réclamez-vous ?
YKS : Nous réclamons l’application des anciennes commissions. On n’a pas demandé d’augmentation. On veut l’ancienne grille tarifaire au niveau des commissionnements. C’est tout.
LP : Pensez-vous que votre demande soit réaliste alors que les opérateurs ont diminué les frais de retrait au niveau des clients finaux ?
YKS : En finance, avant de prendre une décision, il y a une étude qui est effectuée. Les sociétés de mobile money ne peuvent pas se permettre d’aller à 1% pour se rattraper sur les PDV (points de vente) dans la mesure où nous ne sommes pas accompagnés. Ce sont nos fonds propres. Si elles veulent satisfaire la population, qu’elle trouve un moyen de le faire sans impacter négativement les PDV. Nos charges sont énormes.
Si elles ont décidé d’aller à 1%, c’est après étude. On ne les a pas forcées à aller à 1%. Si elles veulent relancer leurs chiffres par rapport à la concurrence ; qu’elles trouvent d’autres moyens pour le faire. Nous ne sommes pas leurs employés pour qu’on nous dise : « On va diminuer vos salaires pour compenser notre manque à gagner ».
LP : Quelle suite donnerez-vous à votre grève ?
YKS : La suite de la grève est simple. Si ces réseaux ne réagissent pas, nous allons appliquer les frais de prestation. La loi nous autorise à le faire. Ce sera entre 100 et 500 FCFA. Cette nouvelle grille ne sera plus 100 francs mais en fonction du montant de la transaction. On peut décider de dire par exemple que quand une transaction est comprise entre 5000 et 20.000 francs, les frais de prestation s’élèvent à 100 francs. Et au-delà de cemontant, à 250 francs. Le seuil maximal étant 500 francs.
LP : Les maisons de téléphonie ne vont-elles pas désactiver vos puces si vous poursuivez ce bras de fer ?
YKS : Il y a un contrat qui nous lie. On ne l’a pas violé donc elles n’ont pas le droit de désactiver nos puces.
LP : Votre combat n’est-il pas perdu d’autant plus que les sociétés de mobile money sont en train de vous contourner en ouvrant des points de vente dans les stations-service, banques et autres espaces ?
YKS : Il faut comprendre que nous sommes plus de 2200 PDV. On s’autofinance. Je ne vois pas une maison de téléphonie qui sera à mesure d’installer 2200 points de vente et de les financer à hauteur minimum de 2,5 millions pour satisfaire la population.
Aujourd’hui, si on n’a rien investi dans un point de vente, ce n’est pas moins de 3 millions. Certains sont jusqu’à 10 millions pour recevoir des miettes à la fin. Aujourd’hui si tu fais 10 millions de transactions, tu ne reçois que 32 000 francs avec Orange. Comment faire face, dans ces conditions, à ses charges ?
LP : La population ne semble pas adhérer à votre combat. Elle vous accuse de contribuer à la cherté de la vie…
YKS : La population n’a pas encore compris la véritable raison de cette grève. Elle pense que c’est de notre propre gré qu’on a décidé d’appliquer 100 francs sur les différentes opérations. Non ce n’est pas le cas. On n’arrive plus à joindre les deux bouts. On veut bien la satisfaire, mais on ne travaille pas, comme on le dit, pour devenir mouton.
On n’a pas de problème avec la population. Elle doit comprendre que la lutte que nous menons, c’est pour la survie de l’activité. Nous l’exhortons à se joindre à nous parce que demain si les trois maisons de téléphonie mobile reviennent à la raison, on ne va plus appliquer les 100 francs sur les transactions.
Nous demandons à l’Etat de prendre ses responsabilités face à ce problème qui affecte le secteur. 2200 emplois sont en jeu. De même que la vie de la jeunesse.
Réalisé par Yves Kalou