La nouvelle de sa disparition a créé, vendredi soir, une onde de choc dans le pays. Tristesse par-ci, désolation par-là, les Ivoiriens ont accueilli avec une profonde consternation l’annonce, inattendue, du décès de Laurent Dona-Fologo, grande figure de la vie politique en Côte d’Ivoire durant près de quatre décennies. Emporté par la Covid-19, encore une illustre victime de ce maudit virus, Laurent Dona-Fologo est parti comme il a vécu durant ces 20 dernières années. Dans la discrétion et l’humilité. Depuis la perte du pouvoir par son parti, le PDCI-RDA le 24 décembre 1999, avec la chute spectaculaire du président Bédié, balayé par un coup d’Etat sans effusion de sang que celui-ci n’a pas vu venir alors qu’il avait créé toutes les conditions pour que ce putsch survienne, Laurent Dona-Fologo était moins présent sur la scène politique nationale. Du moins pas sous les projecteurs, comme il l’était du temps d’Houphouët-Boigny puis d’Henri Konan Bédié. Mais, il est surtout resté fidèle à une idée qui a guidé sa démarche politique : le respect sacro-saint des Institutions de la République. Et aux hommes qui les incarnent. Excepté le général Guéi Robert qu’il a refusé de soutenir, pour l’avoir emprisonné au camp d’Akouédo, après le renversement du président Bédié. En octobre 2000, avec l’accession de Laurent Gbagbo au pouvoir dans « des conditions calamiteuses », selon ses propres termes, Laurent Dona-Fologo se soumet, à nouveau, au chef de l’Etat qu’il est et, à la République dont il est le symbole à cette période-là et devient président du Conseil économique et social. Il est, à nouveau, raillé par une certaine opinion qui ne comprend pas son attitude, qu’elle assimile au nomadisme politique. En réponse à ses détracteurs, Laurent Dona-Fologo, excédé sans doute par ces quolibets voire attaques contre son intégrité et son honorabilité, avait eu cette réplique caustique, perçue comme une boutade : « On sèche son linge là où le soleil brille ». La philosophie fologoiste se trouve incarnée là. En politique, l’on peut servir tous les régimes, pourvu qu’ils soient compatibles. Avec l’accession du président Alassane Ouattara à la magistrature suprême en 2011, Laurent Dona-Fologo est resté fidèle à sa logique. Il se met encore à la disposition de la République ; qu’il sert avec engagement et responsabilité, sans occuper de fonction officielle, il est néanmoins logé au premier rang, n’hésitant pas souvent à arborer les couleurs du RHDP. Contrairement à l’image qu’avait de lui une partie des Ivoiriens, surtout ses amis du PDCI, Laurent Dona-Fologo était tout sauf un opportuniste. Disciple accompli et convaincu de Félix HouphouëtBoigny, son mentor, ce journaliste de formation, qui a réussi une belle reconversion dans la politique, vouait un profond attachement au dialogue. Comme son « père » Houphouët-Boigny, il était profondément persuadé que « le dialogue est l’arme des forts ». C’est pourquoi, il n’a jamais opté pour la défiance ni la belligérance, encore moins la rébellion contre les différents régimes qui ont succédé à celui de son parti, le PDCI. « Tous ceux qui arrivent, tous ceux à qui le peuple confie le pays, pour moi, ce sont les présidents de la République, il faut les soutenir, si on peut, et comme on peut, pour que le pays avance. Mon seul objectif, c’est qu’on dise partout que la Côte d’Ivoire est la meilleure », disait Laurent Fona-Fologo, en substance, le 17 janvier 2020, à la Maison de la presse au Plateau, au cours d’une cérémonie où il recevait le « Grand prix spécial du meilleur homme de paix » décerné par le Comité national de distinction (CNAD). La force de Fologo, c’est qu’il savait justement faire le discernement entre le militantisme politique et le patriotisme. En plus de quarante années de vie politique, il est resté modéré, et très lucide. Sans jamais donner dans l’excès. Pas de propos guerriers et rarement de mots blessants. Il se gardait toujours de jeter de l’huile sur le feu, préférant œuvrer à placer l’intérêt supérieur de la Nation au-dessus de tout et privilégiant, en bon élève d’Houphouët-Boigny, la voie de la paix. Avec sa mort, c’est une longue et enrichissante carrière politique qui s’achève, à l’aube de ses 81 ans. Plusieurs fois ministres dans les gouvernements de Félix Houphouët-Boigny, et aussi sous Henri Konan Bédié, Laurent Dona-Fologo fut également l’un des monuments du PDCI. Mais, c’est à Félix Houphouët-Boigny qu’il doit presque tout : ses études de journalisme à Lille avec une bourse de l’Etat de Côte d’Ivoire, sa nomination en tant premier rédacteur de Fraternité Matin en 1964, son entrée en politique, son ascension au PDCI puis au sommet de l’Etat. Qu’importe ce que les uns et les autres pensent de lui, il a tracé son chemin, avec sa vision de la politique, en agissant avec le sentiment d’avoir la conscience tranquille, et surtout d’œuvrer pour la paix. C’est cette volonté qui l’a poussé à prendre ses distances, à un moment donné, avec ses amis du PDCI, pour créer le Rassemblement pour la paix et le progrès (RPP). Un parti dont il laissera la destinée à son filleul Ouattara Gnonzié. Laurent Dona-Fologo part en laissant à la postérité l’image d’un homme mesuré, épris de paix et de dialogue. Pour sûr, les Ivoiriens ne l’oublieront pas de sitôt…
PAR CHARLES SANGA