« La politique, fille de la diplomatie et de l’escroquerie courtoise », disait Jacques Sternberg, un nouvelliste belge francophone. La vie politique de Laurent Gbagbo en est une parfaite illustration. L’ex-chef d’Etat refait surface dans le giron politique national, même s’il n’a pas encore foulé le sol ivoirien. Après avoir reçu ses deux passeports (diplomatique et ordinaire) délivrés par les autorités ivoiriennes, qui montrent ainsi qu’elles n’ont fondamentalement rien contre sa personne, il s’apprêterait, selon les dires de son avocate, à regagner son pays. Pour, sans doute, reprendre sa place dans le jeu politique, car l’homme, visiblement, ne semble pas encore s’inscrire dans une logique de passage de témoin à une autre génération. Mais, ce qui intrigue, au-delà des ambitions politiques et personnelles de Laurent Gbagbo, c’est la volonté sournoise des responsables de son parti, le Front populaire ivoirien, de conditionner la paix en Côte d’Ivoire, par son retour. A leurs yeux, qui ne voient la réalité sous le prisme réducteur de leurs convictions politiques, c’est le retour de l’ancien chef de l’Etat qui va permettre la réconciliation. Comme si sans Gbagbo, ce pays ne connaîtrait pas une paix durable. Evidemment, personne n’est dupe. Il s’agit, ni plus ni moins, d’une vraie escroquerie politique. Car, depuis neuf ans, alors que Gbagbo est hors du pays, les Ivoiriens, dans leur écrasante majorité, excepté peutêtre les militants politiques extrémistes, ont réappris à vivre ensemble, après une décennie de divisions factices. Bien plus, ils travaillent et partagent les loisirs ; ils se marient entre eux et fondent des foyers sans tenir compte du fait qu’ils soient du nord, du sud, du centre, de l’est et de l’ouest. De quelle réconciliation et surtout de quelle paix parlent donc les partisans de l’ancien président de la République ? De toute évidence, c’est une stratégie politique manichéenne pour replacer au cœur du jeu politique leur mentor. Et surtout, une manœuvre pour renier un passé récent qui l’accable, en tous points de vue. Laurent Gbagbo a été réclamé par la Cour pénale internationale parce qu’il lui était reproché de graves exactions, notamment les tueries des femmes d’Abobo qui manifestaient les mains nues contre sa tentative grotesque de confisquer le pouvoir en dépit de son revers dans les urnes, le 3 mars 2011 ; la répression sauvage de la marche de ses adversaires sur la RTI ( Radiodiffusion télévision ivoirienne), le 16 décembre 2010 ; les exécutions sommaires et les assassinats ciblés durant la crise postélectorale… Ce sont tous ces crimes qui ont emmené Laurent Gbagbo à la CPI. Déjà, ces 10 années de règne calamiteux avaient plongé le pays dans le chaos ; la violence et la persécution des opposants avaient été érigées en mode de gouvernance avec notamment les escadrons de la mort ; le supplice du feu ( le fameux article ‘’125’’) imposé à d’honnêtes citoyens supposés partisans d’Alassane Ouattara. Laurent Gbagbo a embouché la trompette de l’ivoirité, approfondissant ainsi les plaies de la division de la nation ivoirienne, ouvertes quelques années plus tôt par un certain Henri Konan Bédié. Aujourd’hui, il est certes acquitté par les juges de la Chambre de 1ère instance de la CPI. Pour autant, son procès n’est pas encore fini. Saisie par la procureure Fatou Bensouda, la Chambre d’appel doit se prononcer sur son cas. Il n’est donc pas totalement blanchi et on ne peut pas l’absoudre des crimes qui lui sont reprochés. Ceux qui ont tué et pillé, pour défendre son pouvoir, ont agi avec son accord tacite et sous sa bienveillance. Maintenant, si Laurent Gbagbo doit revenir en Côte d’Ivoire, cela se fera, sans doute, selon le calendrier de la justice. Toutefois, ce serait archi-faux de dire que la réconciliation ne tient que par son retour. Les Ivoiriens n’ont pas attendu qu’il soit là pour recommencer à vivre en bonne intelligence. Gbagbo est-il un homme de paix et de réconciliation ? Certainement pas. Lui dont le parti politique, le FPI, donne la déshonorante image d’un parti divisé et déchiré par des querelles intestines, tribales, familiales, à n’en point finir. Un tel homme, incapable de réunifier sa propre famille politique, peut-il prétendre ressouder la nation entière ? Pas si sûr. D’ailleurs, quand Laurent Gbagbo rentrera en Côte d’Ivoire, il devra faire face aux victimes et à leurs parents ; ces hommes et femmes qui ont perdu des êtres chers, arrachés brutalement à leur affection. Tout comme il devra répondre du braquage de la BCEAO pour lequel il est condamné devant les tribunaux ivoiriens à 20 ans de prison ferme…
PAR CHARLES SANGA