Ce qu’il faut savoir sur le nouveau virus à l’origine de l’épidémie
Depuis le mois de novembre 2019, la Côte d’Ivoire a commencé à détecter la circulation d’un nouveau type de poliovirus sur son sol. Un virus dérivé du vaccin contre la polio. Dans le cadre de l’appui aux pays prioritaires pour la réponse à ces épidémies, la directrice de l’OMS/AFRO et le président de la division du développement global de la Fondation Bill-et-Melinda Gates (BMGF), ont proposé au ministère ivoirien de la Santé et de l’Hygiène publique la mise en place d’une unité de coordination de la réponse à l’urgence polio (UCRUP). La nouvelle structure a été inaugurée récemment au siège de la Direction de coordination du programme élargie de vaccination (DC-PEV). Occasion pour le premier responsable de l’unité, le Pr Aka Lepri Nicaise, chef du service surveillance à la DC-PEV, de nous en dire un peu plus sur ce nouveau virus et la mission dédiée à l’unité de coordination qu’il dirigera.
On croyait le combat gagné. Ce, après des décennies de lutte acharnée contre l’ennemi invisible aux dégâts considérables. Un peu à l’image de la lutte que mène actuellement l’humanité contre la Covid-19. Mais, que non. La Côte d’Ivoire et d’autres pays de la région africaine de l’Oms, reprennent de plus belle la lutte contre la poliomyélite. Ce, en dépit du fait que l’instance mondiale de la santé ait déclaré, depuis le 25 août 2020, la région africaine exempte de poliovirus sauvage (Pvs). Cette certification de l’Afrique libre de Pvs devrait constituer une étape historique et vitale vers l’éradication mondiale de la polio. Cependant, voilà que cet espoir d’une Afrique débarrassée à jamais de la polio, une maladie invalidante et dont les victimes (les enfants) sont l’objet de stigmatisation, est en train de se muer en désespoir. La raison, un nouveau poliovirus dérivé du vaccin contre la polio, qui a commercé à circuler dans la région Afro de l’Oms. En Côte d’Ivoire, ce germe a déjà paralysé 71 enfants. Dans les selles ces enfants a été détecté ce nouveau poliovirus. Les caractéristiques du nouveau virus Jusqu’en 2017, la plupart des cas humains de polio, soutient le Pr Aka Lepri Nicaise, chef de service surveillance à la Direction de coordination du programme élargie de vaccination (Dc-Pev) et coordonateur de l’unité polio, étaient dus au poliovirus sauvage. Toutefois, si les nouvelles infections sont dues au poliovirus dérivé du vaccin, ce n’est pas le vaccin qui, précise-t-il, est la base de la maladie. « Le vaccin a été donné. Les éléments qui sont dans le vaccin sont allés dans la nature (parce que le vaccin se donne par voie orale, après on fait les selles), ont signé des contrats avec d’autres virus. Ils se sont mis ensemble pour faire un bébé et donner ce type de problème. Ce n’est donc pas le vaccin qui entraine la maladie. Si le vaccin entrainait la maladie, dans les 14 jours, dès qu’on vous vaccine, vous faites la maladie », explique-t-il. L’apparition de nouveau type de virus, à en croire le Pr Aka Lepri Nicaise, remet en cause notre mode de vie et surtout les conditions d’hygiène. « Il y a quelque chose dont on ne parle pas beaucoup. La polio est une maladie du péril fécal. C’est-à-dire dire, due à une mauvaise gestion des selles. C’est donc dire qu’il faut faire une promotion de l’hygiène, alimentaire, mais aussi se laver les mains régulièrement, surtout en sortant des toilettes », recommande-t-il. Un départ à la case zéro pour la Côte d’Ivoire ? Aujourd’hui, les craintes des uns et des autres, c’est que la découverte de ces nouveaux cas ne vienne remettre en cause la certification de la Côte d’Ivoire comme pays affranchi de la circulation du Pvs par l’OMS. Pour le coordonateur de l’unité d’urgence à la réponse, cela est peu probable. « Dans l’histoire de la Côte d’Ivoire, on peut retenir trois dates. D’abord en 2011, on a eu notre dernier cas de polio dû au poliovirus sauvage. Ensuite, en novembre 2015, on a accepté la documentation de la Côte d’Ivoire comme étant libre de poliovirus. Ainsi, pour l’ensemble des pays exempts, on a estimé qu’on avait éradiqué le poliovirus sauvage en Afrique, mais pas la maladie. C’est le germe qu’on a éradiqué. Enfin, troisième et dernière date, c’est le fait que depuis novembre 2019, on détecte une circulation de ce nouveau type de poliovirus en Côte d‘Ivoire. On l’a détecté autour d’octobre et novembre. Et, à partir de février on a commencé à avoir des personnes paralysées par ce poliovirus qui n’est pas sauvage. Le sauvage est complètement éradiqué », rassure-t-il. En tout état de cause, étant donné que les deux virus ont la « même authenticité », le vaccin par la voie orale, souligne le Pr Aka Nicaise s’avère bien efficace pour cet autre virus. La preuve, depuis les deux journées de passages de vaccination ont été organisées, il n’y a pas encore eu de nouveaux cas. « Le vaccin qu’on a utilisé au cours de la campagne est efficace. Chaque mois, on détectait beaucoup de cas. Mais, depuis qu’on a fait les deux passages, je n’ai pas encore eu de cas. Ça veut dire que quelque part, ç’a été efficace. Mais, vous savez, l’œuvre humaine n’est pas parfaite. Toutefois, pour le moment, on est serein. Et, même si on devait détecter des cas, on va voir. Parce que pour chaque cas, on est obligé de mener une investigation. Il faut aller regarder dans quelles conditions cela s’est passé. Est-ce que cet enfant était là quand on vaccinait. Si c’est non, on comprend. Si c’est oui, qu’est-ce qui s’est passé, quel est le type de vaccin qu’on a utilisé, est-ce que c’était correct. Il y a beaucoup d’éléments qu’on regarde par derrière. Est-ce que cet enfant n’était pas malade au moment où on le vaccinait. Bref, tout ce qui peut conduire à mieux comprendre et ajuster la lutte », explique le chef de surveillance de la Dc-Pev. En effet, après la découverte de ces cas, deux passages de campagne de vaccination ont été organisés dans le pays. Le premier au mois de septembre avec une couverture vaccinale de 101% et le second en octobre avec un taux de 110% de couverture vaccinale. Le tout pour un total de 5,3 millions enfants à vacciner. « Ainsi, les choses se sont améliorées au niveau national. Même si dans certains districts sanitaires on a retrouvé des zones qui n’ont pas été bien couvertes. D’ailleurs, après ces deux passages, puisqu’on avait encore des doses, on a fait un petit ratissage à Abidjan, où généralement on a un plus de cibles », affirme-t-il. Le rôle de la nouvelle unité d’urgence à la réponse Cependant, tient à rassurer le Pr Aka Lepri Nicaise, même quand il n’y a pas de Journée nationale de vaccination contre la polio (Jnv), il y a un maillage du terrain qui est fait. Pour cela, il faut une bonne coordination de la lutte, avertit-il. Ce à quoi va s’atteler la nouvelle unité d’urgence à la réponse. « Cette unité de coordination vient justement pour affiner la lutte. Il y aura plusieurs groupes. Il y a en qui feront la surveillance, d’autres l’information, d’autres la communication et d’autres la logistique. Ces personnes, chaque semaine, doivent regarder de près les éléments qui montrent que la lutte contre la polio se passe bien. Chaque élément doit être regardé », insiste-t-il. Au-delà de la polio, le centre, confie notre interlocuteur, va s’occuper également des maladies de l’enfant évitable par la vaccination. « On ne va pas aller jusqu’à Korhogo, s’occuper de la polio et laisser la rougeole tuer les enfants. Cette unité va s’occuper donc des autres maladies évitables par la vaccination chez l’enfant », indique-t-il. Pour remplir sa mission, l’unité est dotée de ce qu’il faut. C’est un bâtiment de 24m2, avec six bureaux, une salle technique avec serveur. Une salle High Tech donc disposant des outils de dernière génération pour faire des téléconférences. « L’autre aspect, c’est la sécurité. Nous avons des données que nous devons protéger. Donc, il faut faire en sorte que des gens ne puissent entrer dans notre serveur de l’extérieur », explique-il. Suivre les performances des districts sanitaires et des aires de santé en matière de couverture vaccinale chez les enfants sera aussi une priorité du nouveau centre. « Si on sait que vous avez 10 enfants et que, au cours de la campagne vous avez vacciné 6 ou 8, cela veut dire qu’il y a 2 enfants qui manquent, et donc, il faut pouvoir les retrouver, à travers les enquêtes. Mais aussi, à travers les maillages. Cela est un projet de mettre en place un système de santé communautaire. Les agents de santé communautaire vont passer et regarder. S’ils n’ont pas la preuve qu’un enfant a bien reçu sa dose, ils vont le signaler. Si l’enfant n’a pas reçu sa dose, les doses sont là, il faut les lui donner. Parce qu’un seul enfant qui est atteint, expose les autres enfants de la communauté », soutient le coordonateur de l’unité. Comme quoi, la lutte pour l’éradication de la poliomyélite est loin d’être finie.
DAO MAÏMOUNA