La scène est surréaliste. Surtout en ces temps où les paiements électroniques sont en vogue. Devant l’agence de la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE) à Koumassi, ce mardi 10 novembre 2020 à 8 heures, de nombreux passants sont surpris de voir une longue file d’hommes et de femmes s’étirer sur plusieurs mètres. Ce sont tous des clients venus payer leurs factures d’électricité. On se croirait à l’époque antédiluvienne où certains dormaient aux abords des agences de la compagnie pour espérer payer leur facture avant la date limite. Pourtant, il y a une trentaine de minutes que les guichets sont ouverts si on s’en tient à l’enseigne à l’entrée indiquant l’ouverture des caisses à 7h30. Mais déjà, l’intérieur de l’agence est bondé de monde. Un vigile, dehors, maintient le portail hermétiquement fermé devant des clients agglutinés à l’entrée. « Où se trouve la queue du rang ? », demande une jeune dame. « Làbas », répond son interlocuteur en faisant un geste de la main. L’endroit qu’il désigne se trouve à plusieurs mètres du portail. Et pour ne pas arranger les choses, il règne une chaleur étouffante. Certains rebroussent chemin à cause de la longueur du rang. Les plus chanceux trouvent refuge sous l’ombre dégagé par le mur de l’agence quand les autres attendent, stoïquement, sous le soleil. Les minutes s’égrènent mais le rang peine à avancer. Certainement au grand plaisir des vendeuses de banane braisée, de pain et d’eau dans les environs car l’attente creuse l’estomac et donne soif vu les commandes qui s’enchainent. Lorsque nous lui demandons pourquoi elle n’utilise pas le mobile money pour régler sa facture, Mlle Henriette Aka répond : « Une fois c’était bizarre, ce qui fait que je me suis déplacée aujourd’hui ». Pour Ouattara Karim, « ça ne marche tout simplement pas ». « Chaque fois que je veux payer ma facture par mobile money, on me met que je n’ai pas de factures en attente. Aujourd’hui je me retrouve avec plusieurs factures à gérer », fulmine Léonce N’guessan. Les dysfonctionnements au niveau du mobile money amènent de nouveaux clients à venir aux guichets de la CIE. « Pour payer par mobile money, il faut avoir de l’argent sur ton compte. Or actuellement c’est chaud. Ce n’est qu’avant-hier (dimanche dernier, ndlr) que j’ai pu avoir l’argent de la facture. Le dernier délai était le 5 novembre. Je vais donc payer les pénalités », confie un homme attiré par nos échanges avec Léonce N’guessan. Il n’a pas souhaité décliner son identité. Le mobile money lâche des clients 9h20. La tension commence à monter. Nous sommes toujours dehors. A l’intérieur, un tumulte se fait entendre. Un petit désordre se propage à l’extérieur. De petits malins en profitent pour s’infiltrer dans le rang. « Respectez le rang. Il y a longtemps je suis sous le soleil. Vous qui êtes devant, ne laissez pas les gens passer. Le rang c’est derrière ! », proteste une femme. Devant le portail, le vigile, tel un cerbère, filtre les entrées. C’est son heure de gloire. Il est 9h41 quand nous franchissons enfin le portail après avoir reçu une noisette de gel hydro-alcoolique et porté un cache-nez. Notre cerbère veille au respect de ces mesures visant à lutter contre le coronavirus. Mais notre attente est loin d’être terminée car la salle est pleine. «C’est demain, on va quitter ici ! », s’exclame un adolescent juste derrière nous, surpris par le monde. Après avoir attendu plus d’une heure sous le soleil, l’écriteau « CIE nous sommes à votre service » qu’on voit dans la salle a un je-ne-sais-quoi d’ironique. Le rang avance lentement avec de temps à autre des disputes entre clients qui sont vite maîtrisées par les vigiles. Nous sommes au premier rang lorsque nous nous rendons compte que la file des personnes qui paient leurs factures à travers l’application « Yup » est clairsemée. Nous saisissons l’aubaine. Il est 12h59. A 13h02. Notre facture est réglée. En ce jour de grande affluence, il a fallu 5 heures pour le faire. Et là, nous ne sommes pas arrivé au guichet. Un véritable parcours du combattant.
YVES KALOU